20 juin 2007

La gauche peut-elle encore changer la société?

Ce mois-ci, la revue de débats POLITIQUE sort son 50e numéro. Un numéro qui correspond au 10e anniversaire de la revue. Pour cette occasion, une même question a été posée à une soixantaine de personnes de toutes sensibilités à gauche: "La gauche peut-elle encore changer la société"? 51 personnes y ont répondu dont moi-même. Ces textes sont à découvrir dans le n°50 qui paraîtra le 20 juin 2007.

Il vous est dès maintenant possible de commander ce numéro de 120 pages au prix de 10 euros (frais de port compris) à la rédaction de POLITIQUE (Jérémie Detober, Secrétaire de rédaction, 68, rue Coenraets, 1060 Bruxelles, tel : 02/538.69.96, fax : 02/535.06.93, mail : redaction@politique.eu.org, site : www.politique.eu.org

La gauche peut-elle encore changer la société ? Mon point de vue en bref

Le déroulement et l’issue de l’élection présidentielle française ne manquent pas d’offrir matière à réflexion sur la capacité de la gauche tout d’abord à anticiper les mutations de nos sociétés, ensuite à accompagner et répondre de manière générale aux préoccupations de ceux qu’elle ambitionne de représenter, c’est à dire les plus vulnérables. Le fait que Le Pen arrive en tête des suffrages des ouvriers français au premier tour de l’élection et que Sarkozy fasse jeu égal avec Royal au sein de cette catégorie au deuxième tour est en soi un indicateur parlant d’une forme de rupture entre la gauche française et les classes populaires. La situation n’est problablement pas totalement comparable en Belgique, mais la gauche belge est-elle pour autant assurée de maintenir à terme une meilleure posture?

Bien sûr faudrait-il encore s’entendre sur ce que l’on entend par « la » gauche, par pouvoir de changement et par ce quasi nostalgique « encore »? La précision terminologique est en cette circonstance aussi nécessaire que l’explicitation des conditions historiques et politiques qui rendent cette interrogation possible et audible. Poser ce questionnement n’est en effet pas innocent et révèle en son principe l’idée plus fondamentale d’une crise de l’idée du progrès. Les gauches d’Europe occidentale se sont d’une manière ou d’une autre constituées autour de combats collectifs pour l’amélioration constante des conditions sociales des classes populaires. Et ce n’est pas pour rien si cette marche en avant se donne à penser dans l’imaginaire de la gauche comme une histoire de conquêtes. Les victoires engrangées sur le terrain du combat social se sont hissées les unes après les autres au rang d’acquis sociaux que l’Etat providence a su convertir en droits. A cette logique progressiste se substitue aujourd’hui une logique sociétale défensive sous-tendue par la notion de sécurité.

Cette évolution ne manque pas d’affecter le discours politique. Mais plutôt que de « la » gauche faudrait-il probablement parler des gauches. De mon point de vue, on ne peut véritablement en parler au singulier que par convention de langage tant les références doctrinales peuvent être contradictoires. S’identifier politiquement à gauche, comme nous le faisons ici, ne suffit pas, loin s’en faut, à créer une cohérence suffisante avec tous ceux qui en Belgique pratiquent la même démarche. Il suffit pour s’en convaincre de penser à certains enjeux de reconnaissance portés par les descendants de travailleurs immigrés et en particulier à la question brûlante des cultes minoritaires dans un espace public laïcisé. Il serait difficile en la matière d’avancer que le clivage structurant serait simplement celui d’une opposition gauche-droite tant la question divise au sein même des deux camps. Les enjeux contemporains de la reconnaissance semblent donc s’accomoder moins facilement de cette grille de lecture que les questions plus classiques de redistribution.

La problématique principale qui sous-tend mes engagements politiques et intellectuels à gauche consiste précisément à tenter de réconcilier ces deux dimensions que sont les inégalités sociales et culturelles. Pour cela, il m’apparaît nécessaire d’élargir l’échelle de la réflexion. Car qu’on le veuille ou non, changer la société dans l’ordre de notre réflexion sur ce thème, c’est changer la société nationale. L’emprise de l’ordre national sur nos catégories d’analyse est l’un des fardeaux duquel il faut commencer par se débarasser. La capacité de changer la société dépend aussi de notre capacité d’analyser nos interdépendances avec le reste du monde. Si comme l’avance Bourdieu, les démocraties occidentales font face à une vague d’idéologie néo-libérale qui jette les bases d’une révolution conservatrice, la gauche dans ses formations nationales ne peut que subir, se cantonner dans la défensive et le repli sécuritaire. Si par opposition, elle ambitionne de penser ses valeurs d’égalité, de solidarité et de fraternité, au delà des frontières réelles ou imaginaires, de nouveaux champs de luttes de progrès s’ouvrent. Ce combat doit bien entendu être conçu avec les progressistes du monde entier, en dehors de toute volonté hégémonique et donc à travers un dialogue interculturel sincère qui rompe avec le dialogue Nord Sud fondé sur ce que Bourdieu qualifie de chauvinisme de l’universel. Les mouvements altermondialistes ouvrent une des modalités possibles de ce réechellonement du combat de la gauche au sein de la société civile mondiale. Au niveau des partis politiques, tout ou presque est à inventer. Alors, oui je pense que la gauche est capable de changer le monde.

Hassan Bousetta, le 13 mai 2007